Gel des avoirs russes : au nom du droit, de la justice et des intérêts

Les pays de l’Union européenne et du G7 ont gelé plus de 270 milliards d’euros d’avoirs russes logés sur leur territoire. Si pour l’instant ils se contentent de retirer les bénéfices générés pour les donner à Kiev, ils pourraient a terme utiliser les fonds pour la reconstruction de l’Ukraine et pour se faire rembourser leurs prêts. Mais cette action est-elle conforme au droit international ? Si l’argent russe était effectivement confisqué, les banques européennes ne perdraient-elles pas la confiance de leurs clients ?
Il y a plusieurs mois, les pays de l’Union européenne (UE) et du G7 ont gelé les avoirs russes sur leurs territoires pour une durée indéterminée, ou du moins jusqu’au retour de la paix en Ukraine. Objectif : couper une source potentielle de financement de l’armée russe et se faire rembourser par Moscou leurs prêts à Kiev.
La Russie possède 270 milliards d’euros en Occident
Ces réserves de change russes gelés s’élèvent à environ 270 milliards d’euros, dont 210 milliards logés dans l’UE. Le reste de l’argent se trouve aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni, en Suisse et en Australie. En Europe, les actifs russes sont bloqués sur les comptes d’Euroclear, un organisme international de dépôts de fonds établi en Belgique.
À défaut d’une confiscation, un gel des avoirs russes avec ponction des intérêts
Si dans un premier temps, l’Occident envisageait de confisquer tout bonnement ces avoirs russes, il a été contraint par le droit international -qui interdit la saisie des biens d’un État par un autre- de se contenter de ponctionner seulement les revenus générés par ces actifs, autrement dit aux intérêts. Ces intérêts sont estimés entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an, que Kiev touche depuis deux ans pour financer l’achat d’armes ou pour réparer les dégâts causés par l’armée russe.
Geler les avoirs russes pour tarir une source de financement de l’armée de Poutine
Moscou a déjà dénoncé « un banal vol » de la part de l’Europe et des États-Unis et annoncé des représailles, notamment une saisie des actifs occidentaux sur le sol russe. Cette riposte n’inquiète pas l’Europe, qui veut se faire rembourser les prêts accordés volontairement à l’Ukraine avec les avoirs gelés. Les dirigeants de l’UE ont également expliqué qu’il s’agit d’empêcher définitivement Vladimir Poutine d’avoir accès à cet argent. Ils craignent que le maître du Kremlin ne l’utilise une fois la guerre en Ukraine terminée pour reconstituer son armée et passer à nouveau à l’offensive.
La Russie n’a pas les moyens d’attaquer l’OTAN
Il faut dire que c’est un argument un peu fallacieux car Poutine n’a pas besoin de ces fonds pour relancer sa machine de guerre. Il n’a d’ailleurs pas intérêt à le faire contre un gros morceau comme l’OTAN. A part la bombe nucléaire, son armée n’a pas les capacités d’affronter une coalition occidentale. Ne tombons donc pas dans l’hystérie collective. La Russie d’aujourd’hui n’est pas l’Allemagne. Ça fait trois ans qu’elle n’arrive de à dépasser les limites du Donbass. Alors ne parlons pas de Kiev, à plus forte raison d’un pays de l’OTAN.
Aucun texte en droit international n’autorise le gel des avoirs russes
Si la Russie doit effectivement payer pour la reconstruction de l’Ukraine, il faut noter qu’il n’existe pas de texte en droit international qui permette de se saisir des avoirs d’un autre état, y compris dans les statuts de l’ONU. Ce droit n’existe même pas pour l’État agressé, à plus forte raison pour une entité non belligérante comme l’Union européenne. La confiscation s’apparente donc à du gangstérisme d’États.
Vers une potentielle perte de confiance des États dans les places financières européennes
L’Europe ne peut pas bafouer le droit international au nom d’une certaine justice. Elle enverrait un mauvais signal au reste du monde. En effet, de nombreux pays pourraient être tentés de retirer leurs réserves des places financières occidentales pour éviter de se retrouver un jour dans la même situation que la Russie, en cas de conflits avec un autre État. De tels retraits risquent d’accélérer la fragmentation du système financier mondial que la Chine appelle de ses vœux, elle qui ne cache plus ses intentions (et même son impatience) d’envahir Taïwan.
Avec le gel des avoirs russes, la mort certaine d’Euroclear
Une confiscation des avoirs russes aura également des répercussions graves pour la Belgique et la réputation de la place financière bruxelloise. Aucun État ne daignera désormais confier ses avoirs à un pays capable de les confisquer sous pression politique. Pour Euroclear, ce sera assurément la mort à brève échéance. Plus personne n’y déposera ses actifs sachant que cette banque est capable de bloquer l’argent d’un client pour le donner à son concurrent.
Faut-il généraliser le principe de « l’agresseur -payeur » ?
Et si on veut pousser la logique de « l’agresseur-payeur », certains pays occidentaux se retrouveraient avec des caisses vides après avoir mis des États dans le chaos. On pense notamment à l’Irak et à la Libye qui ne sont plus que des noman’sland après le passage de l’OTAN. Par ailleurs, le principe de « l’agresseur-payeur » ne devrait surtout pas retenir le fameux argument de « rétablir la démocratie et libérer le peuple d’une dictature ». Une agression reste une agression, tant qu’on y est. Peut-être que ce principe sera finalement la clef d’une paix durable dans le monde, si tant est il que les États belliqueux craignent de perdre leurs avoirs…