En Martinique, la jeunesse tiraillée entre violence endémique et espoirs d’emploi

Si l’ordre semble rétabli sur l’île antillaise, la société martiniquaise reste meurtrie par les violences ayant émaillé, à l’automne dernier, le mouvement social contre la vie chère. Alors que l’île est par ailleurs en proie à une recrudescence des trafics et violences, les acteurs locaux se mobilisent pour offrir à la jeunesse martiniquaise des perspectives d’emploi.
Il règne un calme trompeur en Martinique où, durant les fêtes de Pâques, ont bouillonné dans les cuisines les marmites de crabe – un plat créole traditionnellement associé, sur « l’île aux fleurs », à cette fête chrétienne. De fait, plusieurs mois après le mouvement de protestation contre la vie chère, qui avait sporadiquement dégénéré en émeutes et pillages, l’ordre semble rétabli sur le territoire martiniquais. En apparence du moins, car loin de l’objectif des caméras comme de l’attention des dirigeants de Métropole se déploient, sur l’île, d’inquiétants et insidieux phénomènes.
La société martiniquaise gangrenée par les trafics
Ainsi, par exemple, de la hausse spectaculaire des saisies de drogue, qui témoigne de celle, exponentielle, du trafic de stupéfiants dans la région. En 2024, quelque 28 tonnes de cocaïne ont ainsi été interceptées par les forces de l’ordre en Martinique. Un record historique, qui illustre les conclusions d’un récent rapport parlementaire selon lequel près de 20% des importations de cocaïne vers l’Hexagone transiteraient désormais par la zone des Antilles. A tel point que, pour les députés auteurs du rapport, l’explosion du narcotrafic ferait désormais « courir un risque réel de déstabilisation de nos institutions ».
Cette hausse du trafic de drogue en Martinique est par ailleurs symptomatique d’un recul, inquiétant, de l’Etat de droit sur l’île française. Au trafic et à la consommation de cocaïne s’ajoutent en effet l’augmentation de la violence, de la circulation des armes à feu et des homicides (en hausse de +36% en 2024). Encouragées par le RPPRAC, un collectif à la pointe du mouvement contre la vie chère, les émeutes de l’automne 2024 ont soufflé sur des braises ne demandant qu’à être rallumées. Lui-même ancien trafiquant de drogue, le leader du RPPRAC, Rodrigue Petitot, a par le passé été condamné à 10 ans de prison : un pedigree qui, localement, séduit les uns comme il effraie les autres, qui n’hésitent pas à qualifier le fondateur du RPPRAC de « gangster ».
La jeunesse martiniquaise en première ligne
La jeunesse martiniquaise est en première ligne face à ces phénomènes et ces tentations. Sur l’île en effet, plus d’un jeune de 15 à 29 ans sur quatre (26%) est considéré comme ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET). Ces chiffres, compilés par l’Insee et publiés en fin d’année dernière par le Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de Martinique (Césecém), sont deux fois plus élevés que dans l’Hexagone, où le taux de NEET atteint seulement 13%. Parmi ces jeunes NEET martiniquais, la moitié sont au chômage, plus de 20% sont extrêmement éloignés de l’emploi et 3% vivent en marge de la société.
Pas de quoi faire baisser les bras à Eric Bellemare, le président du Césecém. « Dans un pays qui devient le plus vieux territoire de France, (…) où près de 5 000 jeunes partent chaque année, il est crucial de créer des pôles d’attractivité pour que notre jeunesse reste », estime dans la presse locale celui qui vient de fêter sa première année à la tête de l’institution. Déterminé à « lutter contre les fléaux qui touchent notre jeunesse : la prostitution des mineurs, la violence, les armes », Eric Bellemare suggère notamment d’ « utiliser tous nos atouts pour être un territoire attratif pour nos jeunes. Parce que s’il n’y a pas de jeunes, il n’y a pas de pays ».
De nombreuses opportunités d’emplois
Des paroles aux actes, il n’y a qu’un pas qu’Eric Bellemare s’empresse de franchir. Le Césecém organisera ainsi, le 30 avril prochain, une conférence dédiée à l’avenir des jeunes en Martinique. Objectif : « identifier des solutions concrètes pour favoriser le maintien des jeunes sur le territoire, leur formation et leur insertion professionnelle ». D’autres initiatives similaires voient le jour, à l’image des permanences mobiles déployées depuis le début de l’année par la Mission Locale de l’Espace Sud dans les cités HLM de l’île, pour aller à la rencontre, précisément, des jeunes NEET et leur proposer des solutions pour faciliter leur retour vers l’emploi.
Car les opportunités ne manquent pas en Martinique, où le marché de l’emploi est porté par le tourisme et l’hôtellerie-restauration, l’agriculture et l’agroalimentaire, le secteur de la santé, ou encore celui du commerce et de la distribution. Parmi les principaux recruteurs locaux se retrouvent ainsi le groupe de distribution GBH, Vinci ou la banque BRED. Dans une Martinique qui panse encore les plaies des récents débordements, le retour durable à l’ordre et au calme pourrait bien passer, préalablement, par celui des jeunes à l’emploi.