Moukhtar Abliazov face à la justice américaine
C’est au tour de la justice américaine de s’intéresser aux tours et détours du sulfureux ex-banquier kazakh Moukhtar Abliazov. Selon les informations du journal économique Entreprendre, le Tribunal fédéral de New York a ordonné, le 29 mars dernier, un procès pour des plaintes déposées par la banque BTA liées au vol et au blanchiment de centaines de millions de dollars contre l’ancien oligarque et son associé Ilyas Khrapunov, fils de l’ex-maire d’Almaty, Victor Khrapunov.
« Fraude à une échelle épique »
Comment l’ancien « homme le plus riche du Kazakhstan » en est-il arrivé là ? «Je n’ai plus rien», déplore celui qui fut propriétaire d’une dizaine de chaînes de télévision, d’une compagnie aérienne, de plusieurs usines chimiques et même de 70 % de la production de sel kazakh. Cela fait en réalité un certain nombre d’années que ses ennuis ont commencé. En 1999, une procédure pénale est ouverte pour abus de pouvoir, détournement de fonds, évasion fiscale et « fraude à une échelle épique » pour des faits présumés lorsqu’il était ministre de l’Énergie.
Arrêté en 2002 pour abus de pouvoir pendant son mandat en tant que président du conseil de surveillance de l’opérateur national du réseau électrique KEGOC, M. Abliazov réussit tout de même à se faire nommer, en 2005, président du conseil d’administration de BTA, troisième plus grande banque du Kazakhstan. Il est vrai qu’il en est propriétaire à plus de 70 %. A partir de 2009, Moukhtar Abliazov est recherché pour détournement de fonds d’un montant de six milliards de dollars. Ce qui pousse l’homme d’affaires à s’installer à Londres.
4,6 milliards de dollars de dommages et intérêts
Décidée à récupérer les fonds détournés, la BTA poursuit le milliardaire devant la Haute Cour de justice (High Court) et fait geler ses actifs. Abliazov est notamment condamné à payer 4,6 milliards de dollars de dommages et intérêts au préjudice de la banque. Il est également condamné à 22 mois de prison pour outrage au tribunal. Afin de dissimuler une partie de ses biens, l’homme d’affaires a en effet multiplié les déclarations contradictoires. « Il est difficile d’imaginer qu’une partie à un contentieux commercial puisse agir avec plus de cynisme, d’opportunisme et de fourberie à l’égard des décisions de justice que M. Abliazov », ont estimé les magistrats britanniques.
L’oligarque démontrera pourtant qu’il peut aller encore plus loin. Il refuse de se soumettre à la décision de la juridiction britannique, quitte Londres et reprend sa cavale en compagnie de sa famille. Destination : le sud de la France. A l’époque, le nombre de pays réclamant son extradition s’élève à trois : le Kazakhstan, mais aussi l’Ukraine, qui l’accuse d’avoir commis des malversations financières pour une valeur de 400 millions à la fin de années 2000, et la Russie, qui lui réclame 5 milliards de dollars générés par des malversations financières.
A trois reprises la justice française autorisera-t-elle l’extradition du fugitif vers Moscou. Mais le Conseil d’État estimera que la demande russe a été formulée « dans un but politique ». L’homme d’affaires commençait alors à se tailler une réputation d’opposant politique victime du régime kazakh. Après un refus initial de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), il se voit pourtant accorder le statut de réfugié politique par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2020.
Prêts fictifs pour le compte de ses propres sociétés écrans
Pourtant, la fin de ses déboires judiciaires est encore lointaine. Le 7 octobre 2020, l’ex-oligarque est mis en examen par la juge d’instruction Cécile Meyer-Fabre pour « abus de confiance aggravé » et « blanchiment d’abus de confiance aggravé ». « Les motifs invoqués pour me mettre en examen en France sont inexistants. C’est une décision politique destinée à apaiser les Kazakhs », dénonce l’intéressé. L’indépendance de la justice française ? Une fiction qui le fait sourire, déclare-t-il au journal Le Monde. « Abliazov crie au complot contre toutes les juridictions qui décident de le poursuivre » explique le Bâtonnier Iweins (Taylor Wessing), conseil de la banque BTA. Maître Bonifassi et Maître Fedorova (Bonifassi avocats), qui interviennent également pour BTA, vont dans le même sens : « Il a mené la même campagne de communication au Kazakhstan, en Russie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et maintenant en France. Si d’aucuns pouvaient croire qu’Abliazov était crédible au début, ce n’est plus sérieux aujourd’hui ». La justice américaine est-elle également une fiction ? D’après les informations d’Entreprendre, le juge fédéral Alison J. Nathan aurait déjà autorisé plusieurs réclamations de BTA. M. Abliazov est accusé d’avoir utilisé des prêts fictifs pour le compte de ses propres sociétés écrans au détriment de BTA.
Le conseil américain de la banque et de la ville d’Almaty, Matthew L. Schwartz, ne cache pas son optimisme. « La banque BTA et la ville d’Almaty apprécient l’examen minutieux du dossier par la Cour, [qui] juge que des ‘preuves significatives’ démontrent que les fonds investis aux États-Unis par Ilyas Khrapunov et d’autres proviennent de la conspiration criminelle de Moukhtar Abliazov, et que les défendeurs n’ont présenté aucune alternative crédible. Nous sommes impatients d’être enfin en mesure d’exposer les preuves de ces crimes au procès, et nous sommes convaincus que lorsque tout sera dit et fait, l’enquêteur sera d’accord avec nous. BTA et Almaty sont heureux d’avoir cette opportunité d’obtenir enfin justice dans un tribunal américain ».