Industrie du luxe : un vent d’optimisme, et quelques mauvaises nouvelles
Le secteur du luxe ne s’est jamais aussi bien porté, dégageant un nombre record de liquidités. Cette situation florissante dissimule pourtant des disparités de résultats et ne saurait occulter les difficultés rencontrées par certains groupes, au premier rang desquels Kering.
22 milliards de dollars. C’est le montant cumulé des liquidités que possède le secteur du luxe, toutes marques et tous groupes confondus. Un confortable matelas financier, symbole de l’éclatante santé d’un secteur bénéficiant à plein d’une conjoncture porteuse : reprise économique mondiale, hausse des marchés financiers et même retour tant espéré des flux touristiques sur le vieux continent, après la désaffection constatée à la suite de la vague d’attentats qui a ensanglanté la capitale française. En somme, tous les feux sont au vert.
Un secteur qui se porte presque « trop bien »
Les groupes de luxe « ne peuvent même plus entreposer tout cet argent ; ils doivent bien en faire quelque chose », indique Ashok Som, codirecteur d’un programme en management du luxe au sein de la prestigieuse école de commerce Essec. Certaines enseignes ont choisi d’utiliser leurs liquidités pour récompenser la fidélité de leurs actionnaires, à l’instar d’Hermès, qui a débloqué un dividende extraordinaire de 528 millions d’euros. Chez Richemont, on s’apprête à mettre 2,7 milliards d’euros sur la table pour s’emparer du distributeur en ligne Yoox Net-a-Porter. Ce surplus de liquidités pourrait même inciter les mastodontes du secteur à jeter leur dévolu sur les quelques rares pépites encore indépendantes, comme Burberry ou Tiffany & Co.
Comme d’habitude, LVMH se taille la part du lion. Malgré des effets de change négatifs et en dépit d’une base de comparaison élevée, le groupe dirigé par Bernard Arnault a indiqué avoir réalisé, au cours du seul premier semestre 2018, un chiffre d’affaires de 10,85 milliards d’euros, avec une progression des ventes de 10 %. Une performance « exceptionnelle », pour les analystes de Berenberg, qui s’ajoute à celle réalisée en 2017. Pour suivre une « demande toujours croissante », LVMH envisage de bâtir de nouveaux ateliers en France au cours de l’année.
Toutes les marques, cependant, ne profitent pas également de cette embellie. « Il y a une forte polarisation entre les marques qui ont su faire ce qu’il fallait pour capter cette croissance et les autres », explique Thomas Chauvet, directeur de recherche chez Citi. Et de citer Dior ou Louis Vuitton parmi ces enseignes qui ont su tirer leur épingle du jeu, en investissant notamment en marketing et en logistique afin de séduire les Millennials. Des griffes de dimension inférieure, comme Prada, Ferragamo ou Tod’s ont, en revanche, du mal à tenir le rythme imposé par les géants du secteur.
L’étau se resserre autour de Kering
D’autres encore font face à des péripéties d’une toute autre nature… C’est le cas du français Kering, numéro deux du luxe. Si l’action du groupe dirigé par François-Henri Pinault a pris +75 % en un an, Kering est, depuis quelques semaines, confronté à d’embarrassantes révélations concernant des pratiques présumées de fraude et d’évasion fiscales.
Selon un article publié par Mediapart mi-mars, Kering « a évadé environ 2,5 milliards d’euros d’impôts depuis 2002, pour l’essentiel au préjudice de l’Italie, mais aussi de la France et du Royaume-Uni ». En Italie, le parquet de Milan s’est saisi d’une première affaire d’évasion fiscale, et une enquête est ouverte depuis novembre 2017.
En Suisse aussi, la justice enquête. En mars, le ministère public de la Confédération suisse (MPC) a officiellement annoncé qu’il avait ouvert une procédure pénale contre Gucci, fleuron de Kering. « Le MPC a également ouvert une procédure pénale sur des soupçons notamment de blanchiment d’argent et de falsification de documents ». Les enquêteurs suisses s’intéressent à Luxury Goods International (LGI), la plateforme de distribution et de logistique de Kering. Pour la justice italienne, c’est par le biais de cette entreprise que le groupe aurait facturé une part importante de ses gains, afin de les soustraire à l’impôt en Italie — on parle de 1,3 milliard d’euros.
La France n’est pas en reste. Interviewé dimanche par Edwy Plenel, de Mediapart, le président de la République, Emmanuel Macron, a lui-même jugé qu’il était « évident » que Kering faisait l’objet d’un contrôle de la part de l’administration fiscale française : « Est-ce que vous pensez une seule seconde que le contrôle fiscal français est resté inactif face à ça ? », a-t-il lancé à son interlocuteur.
Du côté de Kering, on dément farouchement les accusations portées par Mediapart. Le 16 avril, le groupe s’est ainsi fendu d’un communiqué dans lequel il affirme n’être visé « par aucune plainte pour fraude fiscale en France », démentant par la même occasion « l’ensemble des chiffres fantaisistes » avancés par le journaliste Edwy Plenel dimanche soir. L’entreprise affirme aussi coopérer « pleinement » avec les enquêteurs et s’est dite « certaine de l’exactitude et de la transparence de ses opérations ». Pas sûr que cela suffise à convaincre les autorités.