Investissements dans les pays du Golfe : prudence
Selon les classements Forbes et Control Risks, faire des affaires dans les pays du Golfe restera possible en 2018. À condition d’être attentif aux équilibres fragiles de la région.
Le magazine Forbes a dévoilé son classement annuel des meilleurs et pires pays où faire des affaires en 2018. Malgré les craintes suscitées par le Brexit, la Grande-Bretagne domine la liste. Elle est suivie de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, de la Suède, du Canada, de Hong Kong, du Danemark, de l’Irlande, de Singapour et de la Suisse.
À l’inverse, selon ce même classement, les pires pays pour faire des affaires sont le Tchad (153e de la liste), la Gambie (152e), Haïti (151e), l’Afghanistan (150e) et la Libye (149e). Parmi les pays du monde arabe, les Emirats arabes unis (EAU) arrivent en première position (31e), suivis du Qatar (40e), de Oman (47e), de l’Arabie saoudite (50e), de Bahreïn (53e), du Maroc (55e), de la Jordanie (67e), du Koweït (73), de l’Iran (100), de l’Égypte (101) ou encore de l’Algérie (124).
Au total, le classement évalue 153 pays sur la base de 15 facteurs : le droit de propriété, l’innovation, les taxes, la technologie, la corruption, les infrastructures, la taille du marché, les risques politiques, la qualité de vie, la main-d’œuvre, la liberté (personnelle, commerciale et monétaire), la bureaucratie et la protection des investisseurs.
Le magazine économique s’est également appuyé sur plusieurs données et rapports publiés par de grandes organisations. On retrouve des sources telles que l’indicateur de la liberté économique de Heritage Foundation, le rapport de compétitivité mondiale du Forum économique mondial ou encore l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies.
Toutes ces informations sont bien sûr à prendre avec précaution. Comme l’affirme Control Risks, cabinet de conseil spécialisé en gestion des risques, en 2018, le vrai danger pourrait être là où on l’attend le moins. Un adage particulièrement vrai dans une région aussi complexe que le Moyen-Orient par exemple.
Le cabinet reconnaît qu’il est difficile de ne pas appliquer les traditionnelles grilles d’analyse dans cette région : sunnites vs chiites, démocratie vs autoritarisme, Israéliens vs Palestiniens, Iran vs Arabie saoudite… Mais les femmes et hommes d’affaires devront regarder au-delà des « prismes séduisants, mais simplistes pour identifier et isoler les problèmes les plus probables qui pourraient perturber les affaires au Moyen-Orient en 2018 ».
Une recommandation qui prend tout son sens quand on sait à quelles extrémités peuvent arriver certains pays pour détériorer l’environnement des affaires d’États rivaux. En témoigne la récente enquête ouverte par le Qatar destinée à débusquer le ou les responsables d’une tentative de déstabilisation de sa devise.
Le quartet en voudrait à la monnaie qatarie
Si aucune preuve concrète n’a encore été avancée par le petit émirat, celui-ci nourrit de forts soupçons à l’encontre de ses voisins en ce qui concerne une possible manipulation de sa monnaie : « nous savons que les pays qui organisent le blocus contre nous [l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Yémen, les Emirats arabes unis et Bahreïn, NDLR] et leurs émissaires tentent de manipuler et saper notre devise, nos actifs financiers et produits dérivés, dans le cadre d’une stratégie coordonnée pour porter atteinte à notre économie. Nous ne resterons pas sans réponse quand notre pays est attaqué de la sorte », peut-on lire dans un communiqué de la Banque centrale du Qatar diffusé le 19 décembre 2017.
Par ailleurs, le média américain, The Intercept révélait en octobre dernier – sur la base de documents fournis par Global Leaks – que les EAU avaient bel et bien fomenté un plan destiné à faire vaciller la monnaie qatarie. Ces derniers auraient en effet prévu d’instrumentaliser la vente en grande quantité de ryals sur des marchés offshore afin de faire chuter son cours, obligeant alors le Qatar à puiser dans ses réserves. Toujours selon The Intercept, ce plan avait pour objectif de déstabiliser le petit émirat afin – entre autres – de lui retirer le privilège d’organiser la Coupe du monde de football 2022.
La réaction de la banque centrale du Qatar est peu commune. Mais, pour l’heure, aucune preuve formelle n’a été apportée concluant à la responsabilité d’un pays du Golfe ou d’un autre.
Si toute la lumière doit encore être faite sur cette affaire, Control Risks affirme de son côté que l’Arabie saoudite pourrait être à l’origine de futures tensions dans la région. Ainsi, investisseurs et analystes commencent à se demander si le prince héritier, Mohammed ben Salmane, ne finira pas par bouleverser trop brusquement l’ordre économique et social du royaume.
À tel point que les secteurs les plus conservateurs du pays – qui trouveront facilement un prétexte pour soutenir que les « valeurs » de la société s’érodent -, pourraient rejoindre l’opposition. Et les riches saoudiens, effrayés par les « purges » en tout genre, pourraient choisir de se détourner du royaume. Tout cela dans un contexte de récession économique et de baisse progressive des subventions.
Washington, arbitre à l’influence déclinante
Par ailleurs, si une véritable guerre entre l’Arabie saoudite et l’Iran reste très improbable en raison des conséquences économiques néfastes qu’elle engendrerait pour les deux pays, leur lutte indirecte pour l’hégémonie régionale devrait se poursuivre. L’implication de l’Iran dans les conflits de la région restera un facteur de préoccupation pour les Etats du Golfe, et l’évolution de la situation au Yémen, au Liban, en Irak ou à Oman sera suivie de près par les dirigeants saoudiens et iraniens.
Toujours selon Control Risks, la stabilité et la sécurité en Irak continueront d’être mises à l’épreuve en 2018. Les tensions entre le gouvernement fédéral et la région du Kurdistan pouvant être à l’origine d’affrontements sans précédent. Le Sultanat d’Oman devrait également connaître une année mouvementée, alors qu’il se dirige vers un changement de régime politique.
Tous ces changements majeurs, souligne le cabinet, surviendront à un moment où l’arbitre traditionnel de la région, les USA, ont décidé de se désengager. Malgré les juteux contrats signés récemment entre Washington et Riyad, ou malgré la relation privilégiée qu’entretient le gendre du président américain, Jared Kushner, avec les diplomates de la région, notamment ceux des Émirats arabes unis, l’influence américaine est déclinante. La décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ne devrait pas arranger les choses.
Alors qu’il semble « peu probable que la toile du Moyen-Orient soit démêlée de manière significative en 2018 », les entreprises devront « se concentrer sur la planification des enjeux et des scénarios les plus susceptibles d’avoir un impact sur leurs opérations », conclut le cabinet Control Risks.