Chinafrique : la boulimie chinoise pour l’aluminium ne faiblit pas
Après la Méditerranée, l’Amérique ibérique, l’Empire britannique et la superpuissance américaine, la Chine s’apprête à devenir le centre de l’économie-monde du XXIe siècle. À la fois zone de production et zone de consommation, la Chine s’impose comme le nouveau métronome du commerce mondial. Pour alimenter son développement, le pays fait main basse sur les matières premières indispensables à sa croissance. La bauxite, élément de base de l’aluminium, est l’objet de toutes ses attentions.
L’emprise de la Chine sur les échanges mondiaux continue d’augmenter au rythme d’une croissance dont n’osent plus rêver les États occidentaux. Dans certains secteurs, l’appétit chinois prend des proportions gargantuesques. La croissance chinoise est attendue à 6,5 % en 2017 et la demande en aluminium devrait progresser de 9 % à 10 %. La consommation d’aluminium pour la seule Chine devrait attendre 26,25 millions de tonnes pour les trois premiers trimestres de 2017 avant une accélération en fin d’année.
Une demande toujours forte qui fait pression à la hausse sur les prix. Les coûts de production ont augmenté de 14 % cette année et les industriels tels que Hongqiao explorent de nouvelles possibilités — principalement en Guinée — afin de s’assurer une production conséquente. La Guinée Conakry est depuis plusieurs années un eldorado pour les producteurs d’aluminium chinois. Le pays serait assis sur 25 milliards de tonnes de bauxite (le matériau de base dans la fabrication de l’aluminium), soit un tiers des ressources mondiales. Chinois et autres concurrents internationaux travaillent énormément pour obtenir de nouvelles concessions auprès d’autorités guinéennes ravies de pouvoir faire ainsi fructifier leurs ressources naturelles.
La bauxite : le désespoir frappe à la porte
Pourtant, cette ruée vers la bauxite suscite de nombreuses critiques dans le pays producteur. Les entreprises chinoises sont les plus présentes, à l’image d’Hongqiao, mais aussi les plus exposées à l’exaspération des populations. Deux reproches sont formulés : l’absence de retombées économiques au niveau local et les problèmes environnementaux causés par une exploitation intensive. Ces mêmes récriminations avaient été entendues en Malaisie et en Indonésie. Ces deux pays sont devenus à tour de rôle le centre névralgique de l’exploitation de la bauxite avant de céder leur place à la Guinée. Un passage de témoin décidé par les autorités indonésiennes et malaisiennes qui ne pouvaient plus admettre le coût social et environnemental d’une exploitation devenue incontrôlable.
Le groupe Hongqiao a dû se replier en Guinée, mais n’a toujours pas changé ses méthodes de production. La plupart des employés sont des travailleurs chinois alors que le chômage est endémique dans la région de Boké (principal bassin de la bauxite). Les tensions sociales augmentent et ont même dégénéré en émeutes en avril dernier. La bauxite est une bénédiction pour les caisses de l’État guinéen, mais une malédiction pour les populations qui ne profitent pas d’emplois directs ni d’une redistribution des revenus pourtant légitimement attendue. La colère populaire est alimentée par les désastres environnementaux : pollution de l’air, des nappes phréatiques, déforestation.
L’appétit chinois pour les matières premières bouleverse les équilibres économiques mondiaux, mais des pays comme la Guinée supporteront-ils encore longtemps la pression qu’exerce la croissance chinoise sur leurs propres sociétés ?
Joseph Sylla