Pour faire face à la crise diplomatique, le Qatar multiplie les réformes économiques
En prenant des mesures pour favoriser le tourisme et l’économie, l’émirat a récemment démontré qu’il pouvait s’acclimater à la crise diplomatique qui dure depuis début juin.
Acculez le Qatar dans les loges, il revient sur le devant de la scène. C’est, en résumé, la trajectoire qu’a prise le petit émirat depuis sa mise au ban des relations régionales par l’Arabie saoudite, le 5 juin dernier. Le royaume wahhabite, ainsi que ses voisins des Émirats arabes unis (EAU), du Bahreïn et de l’Égypte, ont rompu leurs relations diplomatiques avec Doha, qu’ils accusent de soutenir le terrorisme et d’entretenir des liens trop étroits avec l’Iran, avec, à la clé, une pléiade de sanctions économiques et politiques. Mais le riche émirat gazier a su très rapidement s’en accommoder.
Premiers « Rafale »
Le 9 août dernier, le Qatar annonçait qu’il supprimait les visas d’entrée sur son territoire pour 80 nationalités. Une mesure faite pour relancer le tourisme et le transport, venue s’ajouter au décret autorisant les étrangers vivant sur le sol qatari à avoir une résidence permanente. Une petite révolution, qui concerne directement les enfants nés de mères qataries mariées à des expatriés, les personnes « ayant rendu service au Qatar » et les étrangers dont « les compétences peuvent bénéficier au pays ». Visiblement, le blocus aérien décidé par ses adversaires en juin, qui avait alors contraint Qatar Airways, à rallonger ses itinéraires, n’aura pas d’impacts majeurs sur la fréquentation touristique et l’attractivité professionnelle de l’émirat.
Toujours dans le domaine aérien, branche défense nationale cette fois-ci, Doha a conclu avec les États-Unis, le 14 juin, un contrat de 12 milliards de dollars pour l’achat de F-15, des avions de combat made in USA. Contrat qui, d’après le ministère de la Défense américain, « va donner au Qatar une technologie de pointe et augmenter la coopération sécuritaire […] entre les États-Unis et le Qatar ». Curieux retournement de situation ; le 6 juin, soit quelques jours avant la signature de la transaction, le président américain, Donald Trump, se félicitait de la mise au ban qatarie et, simultanément, apportait son soutien à Riyad.
Un tropisme saoudien dans cette affaire qui n’aura donc pas duré longtemps. Les ministres de la Défense du Qatar et des États-Unis ont également évoqué, en marge de la signature du contrat, des questions de sécurité, dont la menace du groupe État islamique et « l’importance de désamorcer les tensions pour que tous les partenaires dans la région du Golfe puissent se concentrer sur les prochaines étapes pour atteindre leurs objectifs communs ». Un retour à la normale qui s’esquisse ? Pour mémoire, Washington dispose, à quelques kilomètres de Doha, depuis 1996, de la plus grande base militaire hors territoire américain, d’où les États-Unis gèrent la majorité de leurs interventions dans la région.
Outre les avions de combat américains, le petit émirat a aussi passé commande à l’Italie de sept navires de guerre pour 5 milliards d’euros, livrés d’ici 2024. En attendant, le Qatar devrait recevoir à partir de l’an prochain les premiers exemplaires des « Rafale » commandés en 2015 à la France.
Partenariats énergétiques et lutte antiterroriste
Et il n’y pas qu’en matière de défense que Paris et Doha coopèrent. Le 11 juillet dernier, Patrick Pouyanné, le PDG de Total, a déclaré qu’il souhaitait maintenir une production de 300 000 barils par jour, dans le gisement d’Al-Shaheen, pendant « de nombreuses années ». Le groupe français avait remporté en 2016 un appel d’offres pour acquérir 30 % du plus important gisement de pétrole offshore qatari, s’associant ainsi à la compagne nationale Qatar Petroleum. Résultat : Total investira 3,5 milliards de dollars sur cinq ans dans Al-Shaheen, dont l’entreprise tricolore a la concession pour 25 ans.
« Total est pleinement engagé dans le développement de son partenariat avec Qatar Petroleum à la fois au Qatar et à l’international, et est désireux d’élargir encore cette coopération en particulier dans de nouveaux projets » a même affirmé Patrick Pouyanné dans un communiqué. Si ce dernier n’a pas souhaité prendre position sur le conflit diplomatique qui oppose Doha à ses voisins, il a tout de même ajouté que Total investirait aussi aux EAU.
Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que les relations entre le Qatar et ses adversaires s’apaisent d’ici quelque temps. Les autorités qataries ont amendé et complété, fin juillet, la législation sur la lutte antiterroriste qui était l’une des sources de crispation entre Doha et les quatre autres pays arabes. Le décret-loi, promulgué par l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani, définit désormais les notions de « terroristes, des crimes et entités terroristes ainsi que du financement du terrorisme ». S’il reste quelques précisions à apporter, le Qatar dispose dorénavant d’un système de double liste nationale, pour les individus et les entités terroristes, ainsi que des mesures nécessaires pour pouvoir les inscrire sur ces listes.
De quoi mettre fin à l’offensive de l’Arabie saoudite et ses compères ? Trop tôt pour le dire. En revanche, Doha n’a pas attendu que la brouille diplomatique soit passée pour avancer ses pions sur l’échiquier du sport mondial. Le club de football du Paris Saint-Germain, propriété des Qataris depuis 2011, a acheté en grande pompe l’un des meilleurs joueurs de la planète, le Brésilien Neymar, pour la somme de 222 millions d’euros. Qui s’est vu aussitôt propulsé ambassadeur par l’émirat, pour la Coupe du monde de football 2022 organisée au Qatar. Lequel s’acclimate plutôt bien, donc, à sa mise au ban par ses voisins régionaux.
Valentin Crossan