Tabac : les conséquences économiques du paquet à 10 euros
En se déclarant favorable un paquet à 10 euros, Marisol Touraine n’a peut-être pas mesurer toutes les conséquences d’une telle hausse sur le marché du tabac. Outre l’explosion d’un trafic déjà extrêmement développé en France, une nouvelle augmentation du prix des cigarettes condamnerait une profession déjà particulièrement affaiblie.
En 1990, le paquet de cigarettes le plus vendu en France coûtait 1,50 euros, contre 7 euros depuis le 1er janvier 2014. Taxé à 80,3 % par l’État, le prix du tabac français a été quasiment multiplié par cinq en 25 ans, tandis que le nombre d’unités vendues a diminué de moitié sur la même période (95,8 contre 45,5 milliards). En 2015, les ventes légales se sont toutefois stabilisées, affichant +1 % par rapport à l’année précédente en conséquence de la vigilance accrue aux frontières à la suite des attentats de Charlie Hebdo et des attentats du 13 novembre. Car les chiffres de consommation en régulière baisse ne prennent pas en compte les ventes illégales qui représente plus d’un quart des cigarettes achetées en France : c’est le pays d’Europe où la contrebande et la contrefaçon sont les plus développées. En 2014, 2,4 milliards d’euros de recettes fiscales seraient ainsi partis en fumée.
Lors de l’émission Le Grand Jury diffusée sur RTL/Le Figaro/LCI, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a déclaré le 21 février vouloir passer au paquet à 10 euros « le plus vite possible ». « Je souhaite qu’avant la fin du quinquennat, il y ait une augmentation forte, significative du prix du tabac, a-t-elle affirmé. Le prix du tabac, c’est un enjeu de santé publique et on le sait, ça marche. […] J’ai toujours dit que si on veut lutter contre le tabac, il faut faire feu de tout bois, il faut y aller franchement. »
Les effets pervers de la hausse du prix du tabac
Parmi les mesures imposées par la ministre, la mise en place du paquet neutre le 20 mai prochain a déclenché une vive polémique entre défenseurs et détracteurs. Déjà adopté en Australie depuis le 1er décembre 2012, son impact y est contesté puisque le marché noir a augmenté de 25 % entre 2012 et 2014, selon une étude du groupe d’audit international KPMG. Dans le même temps, le taux de jeunes fumeurs de plus de 15 ans serait même passé de 16,7 % à 19,4 %.
Aux pays des kangourous, où un paquet coûte en moyenne 14,5 euros, la contrebande représente environ 15 % de la consommation totale de cigarettes, soit un milliard de manque à gagner pour les pouvoirs publics malgré l’isolement géographique de cet État-continent. Au Québec, qui ne partage de frontière ‒ par ailleurs très surveillée ‒ qu’avec les États-Unis, la hausse de la taxe sur le tabac en 2014 a eu les mêmes effets pervers avec une explosion du commerce illégal de cigarettes, qui côtoie à présent celui des drogues et des armes. La cartouche de cigarettes s’y vendrait autour de 15 dollars dans la rue contre 80 en boutique. C’est là tout le paradoxe des taxes dites « puritaines » qui, en visant à diminuer la consommation de produits à risques (tabac, alcool, jeux de hasard, etc.), favorisent en réalité la hausse des trafics. Pire : selon des chercheurs de l’Institut économique de Montréal, les populations pauvres seraient même frappées quatre fois plus durement que les riches par ces mesures.
En France, où l’absence de réglementation commune à l’Union européenne facilite la libre circulation des biens, la contrebande de cigarettes est particulièrement développée. Les fumeurs français se rendent massivement en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Andorre, où le paquet est deux fois moins cher. Dans certains bureaux de tabac belges frontaliers, 98 % des clients seraient français, comme à Menin, bourgade de 30 000 habitants qui compte plus de 40 points de distribution légaux.
Les buralistes français en danger
Si le prix du paquet passait à 10 euros, il serait plus rentable de parcourir 400 km pour aller acheter deux cartouches en Andorre plutôt qu’en France, d’après une récente étude de l’INSEE. Dans cette hypothèse, nul doute que les buralistes français ne survivraient pas aux conséquences d’un telle augmentation. « Depuis 13 ans qu’on aligne les hausses, il n’y a aucun résultat. Il y a toujours autant de fumeurs, mais 10 000 buralistes en moins en France et une contrebande de plus en plus en florissante », déplorait Alain Lirola, représentant de la profession dans les Pyrénées-Orientales, dans La Dépêche du Midi.
En France, seul pays d’Europe à passer au paquet neutre, 500 débits de tabacs ferment en moyenne chaque année depuis 2010 sur un total de 25 000. Rien qu’en 2014, 1 041 établissements ont mis la clé sous la porte dans ce secteur qui représente pourtant près de 100 000 emplois. Preuve des ravages de la hausse des prix sur la profession, il y a aujourd’hui environ 2 600 habitants par buraliste contre 1 800 en 2004, soit un tiers de densité en moins en seulement 12 ans.
« Avec des différences de prix de 2 à 4 euros pour un paquet, on ne peut pas lutter, reconnaît Gérard Vidal, président de la fédération des buralistes de Midi-Pyrénées, où 300 commerces sur 2 000 ont fermé en cinq ans. De plus en plus de gens vont s’approvisionner [en Andorre]. Il faut protéger nos commerces comme on protège les pharmacies. Ce n’est pas, en tout cas, en augmentant les prix qu’on résoudra le tabagisme. Le paquet à 10 euros est une folie. Dans le système actuel, on renfloue la fiscalité espagnole et on soigne son cancer en France. L’État est doublement perdant ». Et les buralistes en danger.