Kiev à l’orée d’une crise économique et énergétique
Embourbée dans des pourparlers avec ses créanciers privés, Kiev doit également faire face, en prévision de l’hiver, à un secteur énergétique totalement à l’arrêt. Si le gouvernement de Petro Porochenko souhaite éviter qu’une crise économique durable s’installe, il doit apprendre à s’entourer d’éléments moteurs aptes à faire face aux multiples enjeux.
« Nous avons un sérieux challenge face à nous : la restructuration de la dette. » Celui qui tire la sonnette d’alarme n’est pas, comme on pourrait le penser, Alexis Tsipras, l’ex-Premier ministre grec qui vient de remettre sa démission au président de la République hellène. Même si son pays est embourbé dans un marasme politico-économique, il ne s’agit pas, ici, de la Grèce, mais de l’Ukraine.
Arseni Iatseniouk, le chef du gouvernement ukrainien, poursuit sur sa lancée morose : « Le gouvernement, de concert avec le ministère des Finances, travaille sur cette restructuration. Mais nous ne pouvons pas honorer toutes les dettes que le pays a accumulées depuis trois ans. » Il règne, à l’est comme au sud de l’Europe, un parfum de crise économique assez prononcé, auquel s’ajoute l’état déplorable du secteur énergétique en Ukraine.
Un PIB en chute libre et des discussions à l’arrêt
D’après les experts en effet, l’endettement de Kiev atteindrait quelque 40 milliards de dollars, soit plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB). PIB qui a d’ailleurs reculé de 7,5 % en 2014 et devrait chuter de 9 % cette année, selon les experts du Fonds monétaire international (FMI). « Minée par les problèmes structurels avant d’entrer en conflit avec les rebelles prorusses, l’Ukraine s’est trouvée amputée de son poumon industriel à l’est », explique en effet Christophe Dembik, économique chez Saxo Banque.
Le FMI, s’il a au départ hésité à intervenir, exige aujourd’hui, pour apporter son soutien, que l’Ukraine rende sa dette « soutenable avec une forte probabilité ». Résultat : le gouvernement a dû engager des tractations avec ses créanciers privés, afin d’alléger l’endettement. Pour faire entendre sa voix dans ce dossier, l’équipe d’Arseni Iatseniouk a semble-t-il érigé en figure de proue sa ministre des Finances, Natalie Jaresko ; qui, pas plus que les créanciers, n’est près de laisser du terrain à la partie adverse.
Jeudi 6 août dernier, le dossier a d’ailleurs connu un rebondissement, qui montre combien la situation est, sinon chaotique, du moins fragile. Une rencontre devait avoir lieu à Londres entre Madame Jaresko et le comité représentant les créanciers privés de l’Ukraine ; un communiqué publié la veille au soir par le ministère des Finances est cependant venu couper court à toute velléité d’entrevue.
Motif invoqué ? Un désaccord persistant au sujet de l’allègement de la dette. Les créanciers trouvent en effet que le montant de la réduction proposée – environ 20 milliards de dollars – est trop important, et seraient à l’inverse prêts à accepter entre 5 et 10 % de réduction sur les obligations qu’ils détiennent. Une offre jugée trop dérisoire par le gouvernement ukrainien, qui menace de recourir à des options alternatives pour garder sa dette dans les limites exigées par le FMI.
« L’Ukraine a besoin d’un plan Marshall »
Si l’antagonisme entre les deux parties est tout naturel, certains reprochent au gouvernement ukrainien son manque de volonté et son opiniâtreté dans le dossier. Une critique largement transposable à la crise énergétique que subit le pays, tandis qu’Arseni Iatseniouk parle volontiers de « catastrophe » pour qualifier l’état de ce secteur. Economique et financière, la crise est bel et bien énergétique, et oblige l’Ukraine à batailler dans des négociations entre l’Union européenne (UE) et la Russie, ses deux principaux partenaires commerciaux en la matière.
Si les tensions géopolitiques entre Kiev et Moscou sont principalement d’ordre militaire et territorial, la dégradation des relations entre les deux voisins tient également à ce que l’Ukraine a refusé de s’acquitter de sa dette gazière envers la Russie. Aujourd’hui, l’ancienne République soviétique achète du gaz russe auprès de l’UE sans le stocker, et dispose d’environ 13 milliards de mètres cube. Problème : les prochaines négociations au sein du triumvirat gazier (Ukraine, UE et Russie) sont prévues pour la fin du mois de septembre et Kiev a besoin d’environ 20 milliards de mètres cube de gaz.
Le gouvernement ukrainien refuse catégoriquement de négocier avec les dirigeants des républiques autoproclamées du Donbass, dans l’est du pays, qui concentre une part importante des ressources énergétiques. Le géant gazier Gazprom a de plus confirmé, le 1er juillet dernier, l’arrêt de ses livraisons de gaz ; l’accord liant la compagnie d’état ukrainienne Naftogaz et son pendant russe a de facto expiré. En cause : le prix minimum proposé par Gazprom, 247,12 dollars pour 1 000 mètres cube, qui ne satisfaisait pas le groupe ukrainien, celui-ci souhaitant voir le prix ramené à 200 dollars.
Avec l’arrivée de l’hiver, la question énergétique prendra une ampleur bien plus importante. Il s’agit, dès à présent, pour Kiev, de trouver des sources alternatives au gaz acheminé depuis Moscou – qui représente tout de même la moitié de la consommation du pays. Le Turkménistan – 5ème plus grande réserve de gaz naturel au monde – a déjà commencé à déplacer ses pions sur l’échiquier énergétique ukrainien ; les prix qu’il propose sont plus intéressants que ceux de Gazprom.
Pourtant, les deux gouvernements n’ont pas réussi à signer d’accord pour l’instant. Kiev pourrait également avoir recours aux différents organismes ad hoc créés pour faire face à la présente crise. L’Agence de modernisation de l’Ukraine (AMU), initiative internationale lancée par l’oligarque Dmytro Firtach et soutenue conjointement par des parlementaires anglais et allemands, est un bon exemple de ce qui est entrepris pour tenter de sortir l’Ukraine du marasme économique et énergétique. Si le gouvernement apparaît peu enclin à déléguer son pouvoir en matière de négociation, l’AMU serait en bonne position pour faire avancer les pourparlers – avec la Russie notamment, sur la question gazière.
Plus qu’une crise économique qui se dessine en Ukraine, c’est l’obstination de son gouvernement qui semble faire le plus défaut au pays. Avec ses créanciers privés, dans un premier temps, puis son voisin russe dans le domaine de l’énergie, dans un second temps, son opiniâtreté lui porte assurément préjudice. S’il est compréhensible que l’équipe de Petro Porochenko, président de la République depuis 2014, entende tirer seule les ficelles du pays, la raison lui intimerait plutôt de s’entourer d’éléments moteurs pour éviter une crise de moins en moins hypothétique.